Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/25

Cette page a été validée par deux contributeurs.

madame Danquin. Il portait une grande cravate de soie noire qui faisait sept fois le tour de son cou et son col de chemise enveloppait comme un bouquet son visage fleuri. Il avait vu Napoléon à Lyon en 1815 ; il appartenait au parti libéral et s’occupait de géologie.

Dans une des rues qui descendent à ces quais de la Seine où naissait l’enfant qui ne sait encore aujourd’hui, après tant d’années, s’il a bien ou mal fait de venir au monde, parmi cette multitude d’humains qui vivaient leur vie obscure, un homme au vaste crâne, rude et nu comme un bloc de granit breton, et dont les yeux, profondément enfoncés dans des orbites en ogive, naguère jetaient des flammes et maintenant gardaient à peine une faible lumière, un vieillard, morose, infirme, superbe, Chateaubriand, après avoir rempli son siècle de sa gloire, s’éteignait plein d’ennui.

Parfois, descendu des hauteurs de Passy, passait sur ces mêmes quais un vieux promeneur chauve avec de longs cheveux blancs, les joues bourgeonnées, une rose à sa boutonnière, un sourire aux lèvres, bonhomme, aussi plébéien d’allures que l’autre était gentilhomme.