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lui. Pourtant, elle conta plusieurs fois l’anecdote que voici et qui pour elle résumait le caractère de cet homme, frivole et trompeur.

Hyacinthe, lors de la révolution de 1830, ayant passé la quarantaine, mais resté galant, s’ennuyait au logis. Pendant les Trois Glorieuses, il se tint coi, faisant des vœux pour le peuple. Le 30 juillet, après la défection des troupes royales, alors que le feu avait partout cessé et que le drapeau tricolore flottait sur les Tuileries, notre homme mit le nez dehors et désira se rendre, pour une raison à lui connue, au coin de la Bastille et du faubourg Saint-Antoine. Il habitait aux environs, alors rustiques et déserts, de la barrière de l’Étoile. Pour contenter son désir, il lui fallait cheminer, sous un soleil ardent, par les rues dépavées et franchir plus de trente barricades gardées par le peuple, ou faire de longs détours à travers des quartiers peu sûrs. Pour résoudre cette difficulté, Hyacinthe imagina un artifice ingénieux. Il se rendit chez un sien voisin, marchand de vin traiteur, s’enveloppa le front d’un linge trempé dans le sang d’un lapin et se fit porter par le gargotier et son garçon devant la première barricade, qui était toute proche sur