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colie et des crises de larmes. Sa tendresse pour moi allait jusqu’à troubler sa raison, si lucide et si ferme en toutes choses. Elle aurait voulu que je ne grandisse pas pour mieux me serrer toujours contre elle. Et tout en me souhaitant du génie, elle se réjouissait que je fusse sans esprit et que le sien me fût nécessaire. Tout ce qui m’offrait un peu d’indépendance et de liberté lui donnait de l’ombrage. Elle se représentait avec une terreur folle les dangers que je courais sans elle, et je ne suis jamais revenu d’une promenade un peu trop prolongée sans la trouver la tête en feu et les yeux égarés. Elle s’exagérait démesurément mes bonnes qualités et laissait voir à tout propos cette exaltation qui m’était pénible, car, de tout temps, j’ai reçu comme une cruelle humiliation les témoignages d’une estime qui ne m’était pas due. Mais le pis était que ma pauvre mère grossissait dans les mêmes proportions mes torts et mes fautes. Elle ne m’en punissait jamais, mais elle me les reprochait avec un accent si douloureux que j’en avais le cœur déchiré. Maintes fois, il n’a tenu qu’à elle que je ne me crusse un grand coupable et elle m’aurait rendu scrupuleux à l’excès, si je ne