d’hommes étaient fort achalandés, mais tenus en médiocre estime et leurs secrétaires ne pouvaient aspirer à beaucoup de considération. Ces marchands d’hommes habitaient, pour la plupart, une grande maison de la rue Saint-Honoré qui faisait le coin de la rue du Coq, et que couvraient du haut en bas des enseignes ornées de croix d’honneur et de drapeaux tricolores. Au rez-de-chaussée s’ouvraient un magasin de vieux galons et d’épaulettes et une brasserie fréquentée par les soldats qui, ayant fourni le service de sept ans exigé par l’État, désiraient se rengager. Il y pendait, pour enseigne, une peinture sur tôle représentant deux grenadiers attablés sous une tonnelle et débouchant tous deux en même temps leur cannette de bière d’une main libérale et assez heureuse pour que chaque jet de la liqueur mousseuse, échappée de la bouteille d’un soldat, après avoir décrit une courbe hardie, allât retomber dans le verre du camarade. C’était là, je le crains, derrière des rideaux sales, que l’oncle Hyacinthe exerçait ses fonctions nouvelles, qui consistaient à faire jouer et boire les militaires libérés jusqu’à les rendre faciles sur le prix de leur rengagement. Et peut-être, quand je passais devant
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