Page:Anatole France - Le Petit Pierre.djvu/194

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— C’est fait, le Mimeur est vendu.

Le Mimeur, petite ferme près de Chartres, était le seul bien patrimonial qui restât à ma mère. J’étais allé tout petit au Mimeur et il me souvenait seulement d’un papillon blanc sur une haie de ronces, d’un vol strident de libellules autour des roseaux agités par le vent, d’un mulot effrayé qui courait le long d’un mur et d’une petite fleur gris de lin, en forme de mufle, que me montra ma mère en me disant :

— Vois, Pierrot, comme elle est jolie[1].

C’était là pour moi tout le Mimeur, et il me semblait étrange et cruel qu’on vendît cette haie, ces roseaux, ces fleurs d’un gris bleu, ce mulot, ce papillon et ces libellules. Je ne concevais pas bien comment une telle vente pouvait se faire. Mais mon père disait qu’elle était faite. Et je méditais dans mon cœur ce mystère douloureux.

Le Mimeur alla comme le reste à Rampon qui ne l’a pas emporté dans l’autre monde. Tous les morts sont pauvres, Gomboust et Rampon comme les autres. Si je savais dans

  1. Probablement une fleur de linaire, ou lin sauvage.