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l’épreuve de la bonne et de la mauvaise fortune. Elle portait en elle presque un siècle de la vie française et deux régimes, l’ancien et le nouveau, réunis et fondus par le cœur et l’esprit des femmes ses pareilles qui, comme les Sabines de David, se jetèrent entre les combattants.

Riche et jolie paysanne de Normandie, fille de bleus, Marie Rauline était en âge de se marier lors de la guerre de Vendée. Quand je la connus, elle avait plus de quatre-vingts ans, et dans son fauteuil, en tricotant des bas, elle contait des histoires de sa jeunesse que personne n’écoutait plus, parce qu’elle les contait tous les jours, et d’occurrence plusieurs fois par jour. Telle était l’histoire du prétendant qui, pas plus haut qu’une botte, avait été reconnu impropre au service lors de la grande réquisition, et dont Marie Rauline ne voulut point puisque la République n’en avait point voulu, histoire qu’elle terminait d’habitude en chantonnant le joli air :


Il était un petit homme
Qui s’appelait Guilleri
Carabi.


L’histoire que madame Laroque contait le