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veuve après huit ans de mariage, réalise le type de la vieille fille dans sa funeste perfection.

Ma tante Chausson, de beaucoup l’aînée de son frère, maigre et jaune, de mise étriquée et démodée, paraissait plus vieille qu’elle n’était, et je la croyais chargée d’ans, sans l’en vénérer davantage ; j’en fais l’aveu qui me coûte peu. Le respect de la vieillesse n’est point naturel aux enfants : il leur vient de l’éducation et n’est jamais profond en eux. Je n’aimais pas ma tante Chausson ; mais, n’ayant aucune envie de l’aimer, je me sentais très à l’aise avec elle. Sa venue me causait une vive joie, parce qu’elle apportait des changements dans la maison et que tout changement m’était délicieux. On roulait mon lit dans le petit cabinet des roses, et j’exultais.

Au troisième séjour qu’elle fît dans notre maison depuis ma naissance, elle m’observa avec plus d’attention que par le passé et cet examen ne me fut pas favorable. Elle me trouvait des défauts nombreux et contraires : une turbulence importune, qu’elle reprochait à ma mère de ne pas réprimer sévèrement, une tranquillité qui n’était point de mon âge et ne