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soins en l’absence des maîtres et des serviteurs. Il y en a deux dont j’ai gardé le souvenir.

Je vois encore le vaste salon de la comtesse Michaud, avec ses glaces pleines de fantômes, ses meubles ensevelis dans des housses blanches et le portrait d’un général en grand uniforme, dans la fumée et la mitraille. Morin m’apprit que cette peinture représentait le général comte Michaud, à Wagram, avec toutes ses décorations. Le troisième étage m’agréait mieux. Là était le pied-à-terre du comte Colonna Walewski. Il s’y voyait mille choses étranges et charmantes, des magots chinois, des écrans de soie, des paravents de laque, des narghilehs, des pipes turques, des panoplies, des œufs d’autruche, des guitares, des éventails espagnols, des portraits de femmes, des divans profonds, des rideaux épais. Et quand je m’émerveillais de toutes ces choses inconnues, Morin me disait, en se rengorgeant un peu, que le comte Walewski était un lion à tous crins. Il avait longtemps habité l’Angleterre et, de passage à Paris, se disposait à partir pour l’Italie où il était nommé ambassadeur. J’apprenais le monde avec Morin.