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toire qui se composait uniquement de la mort de ses proches, qui avaient péri en mer. Trois de ses frères et son père s’étaient noyés ensemble, le précédent hiver, à une encablure du port. En quoi il ne voyait que du bien comme en tout événement. Ce que j’avais de religion me fit découvrir en Jean Élô une sagesse céleste. Un dimanche soir, nous le trouvâmes étendu ivre-mort en travers du chemin et nous dûmes l’enjamber. Il n’en resta pas moins pour moi un être parfait. Sentiment empreint, il se peut, de quiétisme. À d’autres d’en juger : je n’étais guère théologien alors, et je le suis bien moins encore aujourd’hui.

Mes plaisirs les plus chers étaient de pêcher la crevette en compagnie de deux fillettes qui m’inspiraient une amitié émerveillée et fugitive. L’une, Marianne Le Guerrec, était fille d’une dame de Quimper avec qui ma mère avait fait connaissance sur cette plage ; l’autre, Catherine O’Brien, était Irlandaise. Toutes deux blondes et les yeux bleus. Elles se ressemblaient, ce qui n’était pas pour surprendre ;


Car les vierges d’Erin et les vierges d’Armor
Sont des fruits détachés du même rameau d’or