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blaient. Chaque jour, à toute heure, la mer m’apparaissait transformée, tantôt lisse et bleue, tantôt couverte de petites lames tranquilles azurées d’un côté, argentées de l’autre, tantôt comme cachée sous une toile cirée verte, tantôt lourde et sombre et portant sur ses crêtes agitées les moutons farouches de Nérée ; hier fuyant en souriant, aujourd’hui s’avançant en tumulte. Tout enfant que j’étais et parce que j’étais un pauvre enfant, cette perfide instabilité diminua beaucoup la confiance et l’amitié que m’inspirait la nature. La faune marine, les poissons, les coquillages, les crustacés surtout, ces animaux plus effrayants que les monstres des Tentations de Saint-Antoine, que, sur mon quai Malaquais, j’examinais si curieusement à l’étalage de madame Letord, ces langoustes, ces poulpes, ces étoiles de mer, ces crabes, me révélaient des formes de la vie trop étonnantes et des animaux moins fraternels vraiment que mon petit chien Caire, que le poney de madame Caumont, que les ânes de Robinson, que les moineaux de Paris, et moins amis même que le lion de ma Bible en estampes et les couples de mon arche de Noé. Les monstres marins me poursuivaient