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Madame Petitpas lut sur un morceau de drap de lit qu’elle avait apporté le chiffre de son aïeule maternelle et la date de 1745. Maman travaillait avec ses invitées. Nous participions, le jeune Octave Caumont et moi, à cette œuvre charitable, sous la surveillance de la vieille Mélanie, qui, de ses doigts rudes, effilait le chiffon à quelque distance de la table, par déférence. Pour ma part, je m’acquittais de ma tâche avec zèle et mon orgueil grandissait à chaque fil que je tirais. Mais, quand je vis que le tas d’Octave Caumont était plus gros que le mien, j’en souffris dans mon amour-propre et ma satisfaction de préparer le soulagement des blessés en fut beaucoup diminuée.

De temps en temps des personnes de notre intimité, M. Debas, surnommé Simon de Nantua, et M. Caumont, l’éditeur, venaient nous apporter des nouvelles.

M. Caumont était habillé en garde national ; mais il s’en fallait qu’il portât l’uniforme avec autant d’élégance que mon cher papa. Mon papa avait le teint pâle et la taille fine. M. Caumont, le visage bourgeonné, étalait trois mentons sur le devant de sa tunique qui, ne pou-