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Il préférait M. Goubin. Mais il ne l’aimait guère. Et de fait, M. Goubin n’était pas aimable ; mince, grêle, pauvre de chair, de poil, de voix et de pensée, ses yeux tendres cachés sous son lorgnon, les lèvres serrées, il avait toutes les petitesses, un pied et une âme de demoiselle. Ainsi fait, il était exact et minutieux. À son être tout menu s’ajustaient des oreilles en cornet vastes et puissantes, richesse unique de cet organisme indigent. M. Goubin avait le don naturel et l’art d’écouter.

M. Bergeret conversait avec M. Goubin, devant deux chopes, au bruit des dominos brassés sur le marbre des tables voisines. À onze heures, le maître se levait. L’élève l’imitait. Et ils allaient, par la place déserte du Théâtre et par les rues obscures, jusques aux tristes Tintelleries.

Ils cheminaient ainsi par une nuit de mai. L’air, qu’avaient lavé de lourdes pluies d’orage, était frais, léger, et plein d’une