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Elle voulut savoir si c’était un livre pour les femmes. Il affirma que non.

— Vous avez tort, monsieur Vence, de ne pas écrire pour les femmes. C’est tout ce qu’un homme supérieur peut faire pour elles.

Et, comme il voulait savoir ce qui lui donnait cette idée :

— C’est, dit-elle, que je vois toutes les femmes intelligentes prendre des imbéciles.

— Qui les ennuient.

— Bien sûr ! Mais les hommes supérieurs les ennuieraient davantage. Ils auraient plus de ressources pour y réussir… Mais dites-moi le sujet de votre roman.

— Vous y tenez.

— Je ne tiens à rien.

— Eh bien ! voilà : c’est une étude de mœurs populaires, l’histoire d’un jeune ouvrier sobre et chaste, beau comme une fille, avec une âme de vierge, une âme close. Il est ciseleur et travaille bien. Le soir, près de sa mère, qu’il aime, il étudie. Il lit des livres. Dans son esprit simple et nu, les idées se logent comme des balles dans un mur. Il n’a pas de besoins. Il n’a ni les passions ni les vices qui nous attachent à la vie. Il est solitaire et pur. Doué de vertus fortes, il lui en vient l’orgueil. Il vit parmi des brutes misérables. Il voit souffrir. Il a du dévouement sans