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temps des croisades, plongée dans l’ignorance, la misère, la cruauté.

— Le moyen âge, dit-il, n’est clos que dans les manuels d’histoire qu’on donne aux écoliers pour leur fausser l’esprit. En réalité, les barbares sont toujours les barbares. La mission d’Israël est d’instruire les nations. C’est Israël qui, au moyen âge, apporta en Europe la sagesse de l’Asie. Le socialisme vous effraie. C’est un mal chrétien, comme le monachisme. Et l’anarchie ? N’y reconnaissez-vous pas la vieille lèpre des Albigeois et des Vaudois ? Les Juifs, qui instruisirent et policèrent l’Europe, peuvent seuls aujourd’hui la sauver du mal évangélique dont elle est dévorée. Mais ils ont manqué à leur devoir. Ils se sont faits chrétiens parmi les chrétiens. Et Dieu les punit. Il permet qu’on les exile et qu’on les dépouille. L’antisémitisme fait partout des progrès effrayants. En Russie, mes coréligionnaires sont chassés comme des bêtes sauvages. En France, les emplois civils et militaires se ferment aux Juifs. Ils n’ont plus accès dans les cercles aristocratiques. Mon neveu, le jeune Isaac Coblentz, a dû renoncer à la carrière diplomatique, après avoir passé brillamment l’examen d’admission. Les femmes de plusieurs de mes collègues, lorsque madame Schmoll leur fait visite, étalent sous ses yeux, avec affectation, des