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— Bonjour, Thérèse ! Je suis vannée.

C’était la princesse Seniavine, souple dans ses fourrures qui semblaient tenir à sa chair brune et sauvage. Elle s’assit brusquement et, de sa voix rude, pourtant caressante, où il y avait de l’homme et de l’oiseau :

— Ce matin, j’ai traversé tout le Bois à pied avec le général Larivière. Je l’ai rencontré dans l’allée des Potins et je l’ai mené jusqu’au pont d’Argenteuil, où il voulait absolument acheter au gardien du Bois, pour me la donner, une pie savante, qui fait l’exercice avec un petit fusil. Je suis moulue.

— Mais pourquoi donc avez-vous entraîné le général jusqu’au pont d’Argenteuil ?

— Parce qu’il avait la goutte à l’orteil.

Thérèse haussa les épaules en souriant :

— Vous gaspillez votre méchanceté. Vous êtes une gâcheuse.

— Et vous voulez, chérie, que j’économise ma bonté et ma méchanceté en vue d’un placement sérieux ?

Elle but du vin de Tokay.

Précédé du bruit puissant de son souffle, le général Larivière s’avança, d’un pas lourd, baisa la main aux deux femmes et s’assit entre elles, l’air têtu et satisfait, l’œil retroussé, riant par tous les petits plis des tempes.