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rassée de ses longs bras maigres, le peintre Duvicquet, M. Daniel Salomon, Paul Vence, le député Garain, M. Bellème de Saint-Nom, un sénateur inconnu, et Dechartre, qui dînait pour la première fois dans la maison. La conversation, d’abord grêle et menue, s’enfla, se prolongea en un murmure confus sur lequel s’éleva la voix de Garain :

— Toute idée fausse est dangereuse. On croit que les rêveurs ne font point de mal, on se trompe : ils en font beaucoup. Les utopies les plus inoffensives en apparence exercent réellement une action nuisible. Elles tendent à inspirer le dégoût de la réalité.

— C’est peut-être aussi, dit Paul Vence, que la réalité n’est pas belle.

L’ancien garde des sceaux protesta qu’il était l’homme de toutes les améliorations possibles. Et, sans rappeler qu’il avait demandé sous l’Empire la suppression des armées permanentes, et, en 1880, la séparation des Églises et de l’État, il déclara que, fidèle à son programme, il restait le serviteur dévoué de la démocratie. Sa devise, disait-il, était : Ordre et Progrès. Il croyait vraiment l’avoir trouvée.

Montessuy répliqua, avec sa rude bonhomie :

— Allons, monsieur Garain, soyez sincère. Avouez qu’il n’y a pas une réforme à faire et