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j’ai oublié le nom, mais qui doit ressembler en misère à celle-ci, une malheureuse fille, dont les garçons du liquoriste n’auraient pas voulu, et qu’il aima pour son humilité. Elle se nomme Maria. Encore ce nom n’est-il point à elle, c’est celui qu’elle trouva cloué sur sa porte au bout de l’escalier d’un garni où elle vint loger. Choulette fut touché de cette perfection de pauvreté et d’infamie. Il l’appela sa sœur et lui baisa les mains. Depuis lors, il ne la quitte plus. Il la mène en cheveux et en fichu dans les cafés du quartier latin où les étudiants riches lisent les revues. Il lui dit des choses très douces. Il pleure ; elle pleure. Ils boivent ; et, quand ils ont bu, ils se battent. Il l’aime. Il l’appelle la très chaste, sa croix et son salut. Elle était nu-pieds ; il lui a donné un écheveau de grosse laine et des aiguilles à tricoter pour se faire des bas. Et il ferre lui-même les souliers de cette malheureuse avec des clous énormes. Il lui apprend des vers très faciles à comprendre. Il craint d’altérer sa beauté morale en la tirant de la honte où elle vit dans une simplicité parfaite et un dénuement admirable.

Le Ménil haussa les épaules.

— Mais il est fou, ce Choulette, et M. Paul Vence vous conte de jolies histoires ! Je ne suis pas austère, assurément ; mais il y a des immoralités qui me dégoûtent.