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heures passées sans retour lui apparaissaient avec la tristesse d’un songe. Elle sentit ses yeux se voiler, ses genoux fléchir et son âme défaillir. Il lui semblait que sa vie n’était plus en elle, et qu’elle l’avait laissée dans ce coin où l’on voyait les pins noirs élever leurs cimes immobiles. Elle se reprochait de se troubler ainsi sans raison, quand, au contraire, elle devait se rassurer et se réjouir. Elle savait qu’elle retrouverait Jacques Dechartre à Paris. Ils auraient voulu, l’un et l’autre, y arriver en même temps, ou plutôt, y aller ensemble. S’ils avaient jugé nécessaire qu’il restât trois ou quatre jours encore à Florence, du moins leur réunion était prochaine, le rendez-vous pris, et elle vivait déjà d’y penser. Elle portait son amour mêlé à sa chair et coulant dans son sang. Pourtant, une part d’elle-même restait dans le pavillon aux chèvres et aux nymphes, une part d’elle-même qui ne lui serait jamais rendue. En pleine ardeur de la vie, elle mourait à des choses infiniment délicates et précieuses. Elle se rappelait que Dechartre lui avait dit : « L’amour est fétichiste. J’ai cueilli sur la terrasse les baies noires et desséchées d’un troène, que vous aviez regardé. » Pourquoi n’avait-elle pas songé à emporter une petite pierre du pavillon où elle avait oublié le monde ?

Un cri de Pauline la tira de ses pensées.