Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.

celles qu’il avait aimées un souvenir impérissable. Sa grâce virile, son élégance sobre et l’habitude de plaire prolongeaient sa jeunesse bien au delà du terme ordinaire. Il distingua tout particulièrement la jeune comtesse Martin. Les hommages de ce connaisseur la flattèrent. En ce moment elle se les rappelait encore avec plaisir. Il avait un tour merveilleux de conversation. Il l’amusa : elle le lui laissa voir, et dès lors, il se promit, dans son héroïque frivolité, de terminer dignement sa vie heureuse par la possession de cette jeune femme qu’il appréciait avant tout le monde, et qui visiblement avait du goût pour lui. Il déploya pour la prendre les roueries les plus savantes. Mais elle lui échappa très facilement.

Elle céda, deux ans plus tard, à Robert Le Ménil qui l’avait voulue fortement, avec toute la chaleur de sa jeunesse, toute la simplicité de son âme. Elle se disait : « Je me suis donnée à lui parce qu’il m’aimait. » C’était la vérité. La vérité, c’était aussi qu’un instinct sourd et puissant l’avait poussée et qu’elle avait obéi aux forces obscures de son être. Mais cela n’était point d’elle ; ce qui était d’elle et de sa conscience, c’est d’avoir cru, consenti, voulu un sentiment vrai. Elle avait cédé sitôt qu’elle s’était vue aimée jusqu’à la souffrance. Elle s’était donnée vite, avec simplicité. Il crut qu’elle s’était donnée légère-