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chanson amoureuse qu’il improvisait près d’elle. En des phrases courtes, tourmentées et bizarres, il lui disait le charme qu’elle exhalait.

Elle songea :

— Lui aussi !

Et elle s’amusa à le taquiner. Elle lui demanda s’il n’avait pas trouvé à Florence, dans les bas quartiers, quelqu’une de ces personnes auxquelles il s’adressait le plus volontiers. Car on savait ses préférences. Il avait beau le nier : on n’ignorait pas à quelle porte il avait trouvé le cordon de son tiers ordre. Ses amis l’avaient rencontré sur le boulevard Saint-Michel avec des demoiselles en cheveux. Son goût pour ces malheureuses créatures se retrouvait dans ses plus beaux poèmes.

— Oh ! monsieur Choulette, autant que je puis en juger, elles sont bien mal, vos préférées.

Il répondit avec solennité :

— Madame, vous pouvez recueillir le grain des calomnies semées par M. Paul Vence et me le jeter à poignées. Je ne m’en garderai pas. Il n’est pas nécessaire que vous sachiez que je suis chaste, et que j’ai l’âme pure. Mais ne jugez point avec légèreté celles que vous appelez des malheureuses, et qui vous devraient être sacrées, puisqu’elles sont malheureuses. La fille méprisée et perdue, c’est l’argile docile au doigt du potier divin ; c’est la victime expiatoire et l’autel de