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pas davantage. Mais, chaque fois que le ciel est d’un gris tendre et que le vent a des plaintes douces, ma pensée s’envole vers Marcelle et je lui dis :

— Pauvre âme en peine, pauvre âme errant sur l’antique océan qui berça les premiers amours de la terre, cher fantôme, ô ma marraine et ma fée, sois bénie par le plus fidèle de tes amoureux, par le seul, peut-être, qui se souvienne encore de toi ! Sois bénie pour le don que tu mis sur mon berceau en t’y penchant seulement ; sois bénie pour m’avoir révélé, quand je naissais à peine à la pensée, les tourments délicieux que la beauté donne aux âmes avides de la comprendre ; sois bénie par celui qui fut l’enfant que tu soulevas de terre pour chercher la couleur de ses yeux ! Il fut, cet enfant, le plus heureux, et, j’ose dire, le meilleur de tes amis. C’est à lui que tu donnas le plus, ô généreuse femme ! car tu lui ouvris, avec tes deux bras, le monde infini des rêves.