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fine et plus nette que n’aurait dû l’être une ombre produite naturellement par la clarté tremblante de l’âtre et la flamme fumeuse d’une chandelle.

Le lendemain je visitai la maison déserte où vécurent en leur temps Claude et René ; je parcourus le pays, j’interrogeai le curé ; mais je n’appris rien qui pût me faire connaître la jeune fille dont j’avais vu l’ombre.

Aujourd’hui encore, je ne sais s’il faut en croire la vieille cabaretière. Je ne sais si quelque fantôme visitait, dans l’âpre solitude du Bocage, les paysans dont je sors, et si l’Ombre héréditaire, qui hantait mes aïeux farouches et mystiques, ne s’est pas montrée avec une grâce nouvelle à leur enfant rêveur.

Ai-je vu dans l’auberge de Saint-Jean le démon familier des Nozière, ou plutôt ne me fut-il pas annoncé, dans cette nuit d’hiver, que ma part des choses de ce monde serait la meilleure et que l’indulgente nature m’avait accordé le plus cher de ses dons, le don des rêves ?