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des joues et rougeoyait du nez quand je fus amené avec mes camarades au pied de sa chaire.

» Quel belliqueux professeur de troisième nous avions là ! Il fallait le voir, lorsque, texte en main, il conduisait à Philippe les soldats de Brutus. Quel courage ! quelle grandeur d’âme ! quel héroïsme ! Mais il choisissait son temps pour être un héros, et ce temps n’était pas le temps présent. Monsieur Chotard se montrait inquiet et craintif dans le cours de la vie. On l’effrayait facilement.

» Il avait peur des voleurs, des chiens enragés, du tonnerre, des voitures et de tout ce qui peut, de près ou de loin, endommager le cuir d’un honnête homme.

» Il est vrai de dire que son corps seul demeurait parmi nous ; son âme était dans l’antiquité. Il vivait, cet excellent homme, aux Thermopyles avec Léonidas ; dans la mer de Salamine, sur la nef de Thémistocle ; dans les champs de Cannes, près de Paul-Émile ; il tombait tout sanglant dans le lac Trasimène, où, plus tard, un pêcheur trouvera son anneau de chevalier romain. Il bravait, à Pharsale, César