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dans son passé, ne pouvait me le voir au dos sans y jeter des boules de neige ou des marrons d’Inde, selon la saison, et des balles élastiques toute l’année.

Dans le fait, mes camarades, et Fontanet lui-même, n’avaient qu’un seul grief contre ma gibecière : son étrangeté. Elle n’était pas comme les autres ; de là tous les maux qu’elle m’a causés. Les enfants ont un sentiment brutal de l’égalité. Ils ne souffrent rien de distinct ni d’original. C’est ce caractère que mon oncle n’avait pas assez observé quand il me fit son pernicieux présent. La gibecière de Fontanet était affreuse ; ses deux frères aînés l’ayant traînée tour à tour sur les bancs du lycée, elle ne pouvait plus être salie ; le cuir en était tout écorché et crevé ; les boucles, disparues, étaient remplacées par des ficelles ; mais, comme elle n’avait rien d’extraordinaire, Fontanet n’en éprouva jamais de désagrément. Et moi, quand j’entrais dans la cour de la pension, mon portefeuille au dos, j’étais immédiatement assourdi par des huées, entouré, bousculé, renversé à plat ventre. Fontanet appelait cela me faire faire la tortue, et il montait sur ma carapace.