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tête, une gaule dans la main et un petit panier au bras, elle allait garder les dindons. Il y avait dans le panier du pain et un volume des quatrains de Pibrac. Il était défendu de toucher au pain avant d’avoir appris par cœur cinq quatrains de ce Pibrac, qui est bien le plus ennuyeux mortel qui ait jamais écrit. Maintenant, elle avait perdu sa mère et elle continuait de mourir de faim chez Mme de Neuillant, qui, l’ayant convertie au catholicisme et pourvue de la sorte du pain des anges, dédaignait de la nourrir d’un froment plus grossier.

Scarron était compatissant. Il plaignait Francine, l’admirait pour sa beauté, l’estimait pour ses talents : elle pensait bien, écrivait de même et faisait de très belles lettres. Le sournois lui promit de la doter pour qu’elle pût entrer au couvent. Elle lui en eut beaucoup d’obligation. Une grille lui semblait moins maussade que le visage de Mme de Neuillant. Mais un jour il lui dit brusquement qu’il ne lui donnerait rien pour entrer en religion. Elle resta tout interdite. Il ajouta : « C’est que je veux vous épouser. » Il lui donna pour réfléchir deux jours au bout desquels elle dit : Oui. Quand on dressa le contrat, il déclara, par-devant le tabellion, qu’il reconnaissait à l’accordée quatre louis de rente, deux grands yeux fort mutins, un très beau corsage, une paire de belles mains et beaucoup d’esprit. Le notaire lui demanda quel domaine il lui accordait. « L’immortalité, » répondit le poète. L’accordée emprunta à une amie des habits pour le jour de ses noces. Elles eurent lieu en mai de l’an 1652, dans une église de campagne. Je ne sais si c’est Scarron ou le curé qui exigea de la jeune con-