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comme le bouc expiatoire chargé des péchés politiques de la ville. Et, en bon royaliste qu’il était, il invitait les frondeurs à faire pénitence.

« Peuple séditieux, accourez pour voir un spectacle digne de la justice de Dieu ; c’est l’épouvantable Scarron qui vous est donné pour exemple de la peine que souffriront aux enfers les ingrats, les traîtres et les calomniateurs de leurs princes. Venez, écrivains burlesques, voir un hôpital tout entier dans le corps de votre Apollon ; un tel spectacle ne vous excite-t-il pas à la pénitence ? Admirez combien sont grands les desseins de la Providence ; elle connoissoit l’ingratitude des Parisiens envers le roi, qui devoit éclater en mil six-cent-quarante-neuf ; mais, ne souhaitant pas tant de victimes, elle a fait naître, quarante ans auparavant, un homme assez ingrat pour expier lui seul tous les fléaux qu’une ville entière avoit mérités…

« Voilà dix ans que la Parque lui a tordu le cou, sans pouvoir l’étrangler. À le voir les bras tors et pétrifiés sur les hanches, on prendrait son corps pour un gibet où le diable a pendu une âme. Et quelle âme ! plus laide que le corps ! »

Scarron rit de tout son cœur en lisant cette prose, qui ne valait pas la sienne. Quant à Saint-Amant, il se tint coi. Il se frottait encore les côtes, ayant été récemment bâtonné sur le Pont-Neuf, par les valets du prince de Condé, pour une chanson.

Cependant l’on menait en chantant cette petite guerre de femmes, de magistrats, d’abbés, de seigneurs et de bourgeois, qui s’embrouillait chaque jour davantage et à laquelle tout le monde finit par ne rien com-