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de la façon la plus savante et la plus judicieuse. Il ne savait manger que du veau de rivière ; il fallait que ses perdrix vinssent d’Auvergne, que ses lapins fussent de la Roche-Guyon ou de Versine. Il n’était pas moins délicat pour le fruit. Quant au vin, il n’en pouvait boire que de trois coteaux : d’Ai, de Haut-Villiers et d’Avernay. Tel était M. de Lavardin, qui forma avec le comte d’Olonne et le marquis de Bois-Dauphin l’ordre des Trois-Coteaux. M. de Lavardin était de complexion à s’attendrir sur le pauvre Scarron, qui, faute d’argent, ne pouvait faire une bonne cuisine. Il lui conféra un bénéfice au Mans. En 1643, Scarron se décida, non sans regrets, à quitter la rue des Douze-Portes, et, ayant fait au Marais des adieux burlesques et sincères, il se fit porter comme un paquet dans le coche du Maine. Il demeura plusieurs années au Mans, où il logeait, contrairement aux statuts disciplinaires, dans une maison canonicale. Il était là, en 1644, quand il fit imprimer son Typhon, poème burlesque, imité d’une Gigantea italienne du XVIe siècle. Dans le Typhon, l’Olympe parlait le langage des halles. Cela amusa, et le cul-de-jatte avait bien pris son temps pour être poète burlesque. Depuis l’Astrée, on voulait tout dire galamment. L’hôtel de Rambouillet, qui donnait le ton, faisait prévaloir un langage très noble, parfaitement mal approprié aux besoins de l’humanité en ce monde sublunaire. Un gentilhomme se fit un mauvais parti dans le salon bleu de la rue Saint-Thomas-du-Louvre pour avoir lâché le mot d’avoine, qui est, paraît-il, un mot bas. Ce gentilhomme perdit patience, poussa un gros jurement et