l’empereur Auguste. Les Faret, les Colletet, les Saint-Amant étaient fort gueux pour l’ordinaire. La broche du cabaret ne tournait pas pour eux tous les jours. Il fallait être abbé comme Furetière, Cottin ou Scarron, pour obtenir quelque bénéfice. Qui ne l’était pas n’avait que la chance d’être aux gages de quelque seigneur. Le duc de Longueville dit : « J’arrête M. Chapelain. » Et Chapelain était un homme fort considéré, eu égard à son état de poète. Combien d’autres usaient leurs chausses sur les coffres des antichambres, sans être jamais arrêtés ! Un poète fort ami de Scarron, Sarrazin, qui avait de l’esprit et faisait des grimaces au besoin, servait de singe au prince de Conti et l’amusait. Un jour, le prince frappa son singe avec des pincettes d’argent et le tua. Ces poètes, dit-on, manquaient de fierté. Le moyen d’en avoir quand on meurt de faim ? L’étoile de Paul Scarron (une petite étoile rousse) l’avait fait poète burlesque. Celui de tous les mortels qui avait le moins sujet de rire fut celui-là même qui sut le mieux faire rire les autres. Sa gaieté, unie à sa misère, ne donnait pas au public un spectacle ordinaire. Paul Scarron fut remarqué de tous. On disait : « L’avez-vu ? Il est cul-de-jatte ; il n’a point de cuisse. — En vérité ? — On le met sur une table, dans un étui, où il cause comme un pie borgne. — Se peut-il ? — Son chapeau tient à une corde qui passe dans une poulie et qu’il hausse et qu’il baisse pour saluer ceux qui le visitent. — Cela est merveilleux ! » Et on se montrait un portrait sur lequel il était vu de dos, dans un sébille, sur une table.
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