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« Beaumesnil, 24 décembre 1870.

« Mon cher Garien,

«… Que nous conseillez-vous ? Attendre, pour nous marier, Emma et moi, que Paris soit libre, ou nous épouser tout de suite à Beaumesnil ? Vous auriez une permission pour venir. Ce dernier parti aurait cela de bon qu’Emma et moi avons besoin de soleil et que nous pourrions, le lendemain du mariage, aller attendre le printemps à Bayonne ou à Pau. Je peux partir avec ma femme et non avec ma fiancée… Elle m’a dit que vous saviez mon amour pour elle. Vous avez dû penser que j’étais un drôle d’amoureux. C’est que je l’aimais tant. Je ne suis resté aussi longtemps à Serquigny que parce que j’avais peur d’elle. C’était pour m’en éloigner que je voulais aller à Bruxelles. Je ne pouvais pas croire qu’elle pût m’aimer autrement que comme un bon garçon qu’on voit tous les jours. Jamais, sans la frayeur où je l’ai vue le jour où nous vous croyions à Pont-Audemer quand les Prussiens y sont venus, je n’aurais osé lui dire que je l’aimais. Avec quelle épouvante j’ai attendu sa réponse ! Jamais, même dans mes rêves, je ne l’ai vue autrement que ma femme. Aujourd’hui encore, après qu’elle m’a dit oui, je doute, je m’arrête ; j’en pleure de joie. Comme je veillerai avec amour sur ce bon petit être !

« Je vous embrasse.

« Albert Glatigny.

« P. S. Le pays est tranquille pour quelque temps et, j’espère, pour toujours, si cela continue. »

Ce frère respecté comme un père de famille, ce jeune homme austère et doux, soldat et fiancé, à qui on demandait avec tant d’ardeur et de déférence le consentement au mariage, put écrire enfin et envoyer