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vous dire sûrement que je la rendrai heureuse, car ce n’est pas un coup de tête qui m’a fait tomber à ses genoux. Le doux sentiment réfléchi que j’ai pour elle a poussé mystérieusement ses racines depuis longtemps. Je me laisse aller à ce charme que je n’aurais pas soupçonné autrefois. Jamais il ne m’était arrivé d’éprouver cette immense joie d’aimer un femme honnête, bonne, pure, que l’on respecte. Comment a-t-elle voulu de moi ? Cela me passe. Je n’ai rien de séduisant. Je suis laid et je n’ai jamais su parler qu’à des cabotines. Comme je vais travailler à présent, et avoir du talent ! Nous parlons de vous tous les jours et de votre fiancée. Notre bonheur ne va pas sans le vôtre. Mes parents savent tout, car je n’aurais pas voulu qu’un seul mauvais soupçon pût courir sur Emma. Je l’aime, si vous saviez !… Et je vous le dis comme je n’ose pas le lui dire à elle-même. Tout est changé en moi. Je vois la vie autrement. Quelle belle chose qu’un amour sain et pur ! que c’est charmant et bon ! Je pleure d’attendrissement en voyant ce doux être qui me transforme d’une si heureuse manière et que ma mère appelle sa fille. Tous nos malheurs vont finir bientôt. Alors vous reviendrez. Vous me ferez connaître ma petite sœur de Nice, dont Emma me parle avec son bon cœur. C’est cet amour délicat qu’elle a pour vous qui m’a fait l’aimer. Quelle femme que cette sœur ! Mais vous la connaissez. Je m’arrête. »

Le reste de la lettre est relatif à la défense de Ber-nay. Rien de plus brave ni de plus honnête au monde que les sentiments qui animent Glatigny en face des malheurs de la patrie. Seul avec un vieillard, il salue le drapeau français qui traverse Beaumesnil. Il bouillonne d’amour et de haine, il est farouche et généreux.