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d’esprit, une belle humeur charmante. Il se vengea innocemment de son gendarme et du juge suppléant en relatant leurs actes et paroles dans un petit livre très divertissant. Il lui eût été facile et profitable de déclamer, de prendre la chose de haut, au point de vue social, au point de vue politique. Mais j’ai dit que Glatigny avait beaucoup d’esprit. De plus, il était sans fiel et incapable de rancune. Cette œuvre de bêtise, cette incroyable arrestation fut d’autant plus odieuse que la victime, épuisée par plus de dix ans de jeûne et de misère, était alors dans un état lamentable de délabrement. Aux trois quarts aveugle, perclus de rhumatismes, brûlé de maux d’estomac, consumé de phtisie, Glatigny avait usé son pauvre corps jusqu’à la dernière fibre.

Voici ce qu’il écrivait de Santa-Lucia, en octobre

1869, à celui de ses amis, qui se cache sous le nom de Job-Lazare :

« Je crains bien de ne plus avoir à vous écrire. Il m’est impossible de quitter la Corse, faute d’argent, aucun des journaux à qui j’ai envoyé de la copie ne m’ayant répondu. D’un autre côté, je suis plus malade que jamais ; pas de médecin, rien, isolement complet, et la poitrine dans un état qui me fait croire que ça ne durera pas longtemps. Portez-vous mieux que moi. Je m’arrête pour cause d’éblouissement dans les yeux.

« Votre ami bientôt feu,

« A. G. »

C’est dans cet état que, vers les premiers jours de

1870, l’enfant normand, prodigue de sa vie, vint, en se traînant, jusqu’à la maison paternelle et tomba, brisé