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même temps il joua, au Théâtre-Lyrique, dans YOthello d’Alfred de Vigny, le troisième sénateur. Il avait à dire un vers et demi et touchait deux francs par soirée.

J’ai gardé, pour finir, le trait le plus mémorable de sa carrière dramatique. C’était dans je ne sais quelle sous-préfecture. On jouait Andromaque, pour le malheur de Racine. Glatigny tenait le rôle modeste de Pylade, et il n’y brillait pas. Mécontent de son succès et persuadé, en bon romantique, que Racine était ridicule, il se laissa aller à une très grosse, mais très innocente plaisanterie. Dans la scène n de l’acte III, annonçant l’entrée d’Hermione (je ne sais quelle était cette Hermione ; le ciel lui accorde de ravauder en paix les bas de sa famille !), le Pylade de basse Normandie récita les trois vers écrits par l’auteur à’Andromaque et en ajouta deux autres tout à fait étrangers au texte. « Gardez, dit-il,

« Gardez qu’avant le coup votre dessein n’éclate : Oubliez jusque-là qu’Hermione est ingrate ; Oubliez votre amour. Elle vient, je la vois, Et, si celle du sang n’est point une chimère, Tombe aux pieds de ce sexe à qui tu dois ta mère. »

L’effet de ces deux vers de Legouvé, soudés au texte de Racine par le plus énorme calembour, trompa complètement l’attente du Pylade goguenard. L’aristocratie de la petite ville, loin de soupçonner une malice, fut saisie des transports de l’admiration la plus pure, et les autorités donnèrent le signal des applaudissements.

Il eut toutefois sur les planches, non comme ac-