Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/318

Cette page n’a pas encore été corrigée

et estimèrent que l’apprenti imprimeur saurait les souffler aussi bien qu’un autre. Quant à lui, son ambition n’était pas de s’enfariner le visage, d’avoir sur la nuque un papillon au bout d’un fil de fer et de recevoir agréablement des coups de pied, mais de porter le feutre à plume, de se draper dans la cape espagnole et de traîner la rapière funeste aux traîtres. Or sa face de carême, son corps long comme un jour sans pain, ses pieds interminables qui le précédaient de longtemps sur la scène, faisaient de lui un personnage fort différent de Mélingue et tout à fait incongru sous le velours et la soie. Quand vous saurez que, doué du plus pur accent normand, du parler traînard de Bernay, il était en outre affecté d’un bre-douillement qui lui faisait manger la moitié des mots, vous reconnaîtrez qu’il fut sifflé et hué en toute justice. 11 alla de Pont-Audemer à Falaise, de Falaise à Nevers, de Nevers à Épinal, d’Epinal à Belfort, de Belfort je ne sais où, et de Paris à Bruxelles. A Bruxelles en 1866, il était pitoyable. 11 se voyait sublime. Que voyait-il qui ne fût sublime ?

Son roman comique fut complet. En plein hiver, habillé tout du long de nankin, il s’éprit d’amour pour une princesse de théâtre dont il brigua les faveurs comme si elle ne devait pas rencontrer, chemin faisant, des secrétaires de préfecture et, dans chaque ville, messieurs les membres du cercle agricole et commercial. Il se croyait Destin ; il voyait en elle M1U de l’Etoile. Le malheur fut que cette L’Etoile-là n’entendait rien aux amours poétiques. L’infortuné Destin, abîmé de désespoir, voulut se plonger son