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Dieu ! s’écriaient les académiciens, les journalistes et les femmes d’esprit, que votre maître d’école est insipide et rebutant ! » — Et Sainte-Beuve ne se rendait pas. Ce magister de hameau, c’était son Jocelyn, non un Jocelyn idéal et romanesque, mais un Jocelyn particulier, précis, un homme, et des plus ordinaires. Le poète savait bien ce qu’il voulait, et il le fit exactement. 11 voulait, pour prendre ses propres expressions, arriver « à cette particularité et à cette précision qui fait que les êtres de notre pensée deviennent tout à fait nôtres et sont reconnus de tous1 ». En somme, il y arriva. Il fallait bien aussi sortir du nuage et prendre pied quelque part. La poésie flottait trop et se perdait dans le vague. Nous le sentons bien à cette heure. Dans le fait, il avait trouvé là un genre de poésie qui a été fort goûté depuis et dans lequel quelques-uns excellent aujourd’hui sans fâcher personne.

Sainte-Beuve s’est donné carrière dans ce dernier recueil. Il complique à plaisir ses idées. Il se demande ce que Royer-Collard et Boileau eussent dit ensemble des poètes modernes ; il suppose Voltaire assistant au cours de M. Patin. Le style, tourmenté à l’excès, est souvent d’une étrangeté qui déconcerte. On avait déjà remarqué, dans Joseph Delorme, des ellipses un peu fortes, comme celle-ci : ,

Sur ma table un lait pur, dans mon lit un œil noir.

i. M. Deulin avait fait aussi son Jocelyn, l’Ange tentateur, que Sainte-Beuve trouvait trop lamartinien.

(Correspondance, t. i, p. 177.)