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plus ; il raconte. Sainte-Beuve disait plaisamment en parlant des Pensées d’août : « J’avais donné Joseph De-forme et les Consolations ; il ne me restait plus qu’une queue de rat. Je l’ai tortillée à ma façon. » Queue de rat ou queue de castor, la queue est en effet vigoureusement tortillée.

Les Pensées d’août côtoient la prose ; Saint-Beuve rendit, comme il le dit, son vers « simple à plaisir » ; il crut avoir trouvé la musa pedestris, un ton de sage vieillissant. Mais le public se révolta cette fois et fit au livre, comme dit l’auteur, un accueil véritablement sauvage.

Le plus gros poème du recueil, Monsieur Jean, surprit et blessa les délicatesses du public.

Ce Monsieur Jean est un fils naturel de Jean-Jacques Rousseau, devenu magister de village et resté simple, naïf dans ses mœurs et dans sa foi. Il s’efforce d’expier par les pratiques d’une humble piété et l’exercice des vertus obscures la gloire scandaleuse de son père. Le poète imagina cette vie en puritain et la conta avec familiarité. Son récit, d’une teinte grise, est triste et pénible. On le suit avec cet indéfinissable sentiment d’ennui, de mélancolie, et aussi de charme triste qu’on éprouve en cheminant dans un pays pauvre, sous un ciel pluvieux, le long d’une route creusée d’ornières. Mais le beau monde se fâcha : « Que cela est aride et rocailleux ! » disait-on. — Ces aspérités sont semées à dessein, répondait Sainte-Beuve ; mon vers vous blesse l’oreille, mais il est harmonieux à sa manière ; vous n’entendez rien à mes assonances ni à mes allitérations. » — « Mon