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couleur, le jaune, par exemple : l’or est jaune, la soie est jaune, la paille est jaune ; à combien d’autres fils ce fil ne répond-il pas ?… Le fou ne s’aperçoit pas qu’il en change : il tient un brin de paille jaune et luisante à la main, et il crie qu’il a saisi un rayon de soleil. » Là-dessus, Sainte-Beuve imagina une sorte d’élégie en strophes dans laquelle il assembla des souvenirs et des rêves liés ensemble par ce fil jaune que Diderot indique. Partant d’un rayon de soleil couchant qui traverse sa chambre, il rejoint l’église où, dans son enfance, il voyait les lampes jaunes et le front jauni du vieux prêtre, puis le jaune ivoire du crucifix et le jaune missel qui consolent les croyants, puis les cierges jaunes au lit de mort de sa vieille tante, puis le poêle jaunissant des mariés qui ne sera pas étendu sur sa tête condamnée (il ne dit pourquoi) à une morne solitude, enfin la rose qui ne jaunira pas sur sa tombe désertée. La succession des idées n’a rien de forcé : elle devrait paraître naturelle et produire l’impression d’une rêverie involontaire. 11 n’en est rien pourtant. Le poème manque de naturel ; il est pénible et affecté. La raison en est facile à découvrir. Nous ne nous laissons conduire d’une idée à une autre par des analogies de forme, de couleur ou de parfum, qu’à la condition de ne pas nous apercevoir du fil qui nous mène ou plutôt qui nous égare. Dès que le lien nous apparaît, nous le brisons. Sainte-Beuve, au contraire, s’est obstiné à montrer son fil conducteur. En s’acharnant à marquer que ceci est jaune et que cela aussi est jaune, il semble nous dire : « Voyez comme je passe ingénieusement d’un jaune

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