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certaines heures des retours attendris vers la religion et des poussées mystiques. Il aimait la littérature pardessus tout : c’était Sainte-Beuve. Comme on voit, il n’était pas tout simple, tout uni.

Attaché vers 1826 au journal libéral Le Globe par son ancien, professeur de rhétorique, M. Dubois, il s’exerçait dans le camp des doctrinaires ; mais son esprit se distinguait du leur par beaucoup de souplesse et tout un arrière-fonds d’idées, par un sens littéraire plus fin et plus hardi, et par un goût de rêverie, un penchant à la tristesse.

C’est une chose éternelle que cette tristesse du matin de la vie des poètes. Il y a là un moment de crise qui n’est ni sans péril ni sans attrait. On n’en voyait alors que l’attrait, la grâce morbide. Le ton du siècle restait au désespoir, et c’était un désespoir doré d’illusions, irisé des mille nuances d’une poétique rêverie. Quoi de plus charmant que le dégoût de vivre qu’on puise à vingt ans dans de beaux livres, comme Werther ou René ? Les poètes savent orner leur mélancolie, la rendre aimable, inofFensive pour eux. Olympio fut triste aussi ; par bonheur, il n’en mourut pas.

Sainte-Beuve eut le spleen aussi sincèrement que les autres. Plus tard, il rechercha jusque dans les circonstances les plus secrètes de sa naissance la raison de cet état d’esprit.

« Ma mère a perdu mon père la première année de son mariage ; elle était enceinte de moi, elle m’a donc porté dans le deuil et la tristesse ; j’ai été abreuvé et baigné de tristesse dans les eaux mêmes de l’amnios ; eh bien, j’ai souvent attri-