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C’est le lot d’un Horace ou d’un La Fontaine : les jeunes gens en sont peu tentés d’ordinaire. Mais ce poète-là, s’il venait, avait lui-même peu de chances. de percer. 11 faut de la poésie à tout le monde, mais il en faut peu à chacun. Le public prend la plus grosse, celle qu’il a vue de plus loin, et il est satisfait.

Assurément nous aimons la poésie en France ; mais nous l’aimons à notre manière : nous tenons à ce qu’elle soit éloquente, et nous la dispensons volontiers d’être poétique.

Depuis la Révolution, le Français est devenu terriblement emphatique. Ce sont les mots sonores et non les sentiments profonds qui le touchent. La poésie des choses lui échappe ; il lui faut un drame. Un poème qui ne peut pas être récité sur un théâtre est chez nous un poème perdu. Enfin, nous ressemblons dans nos admirations pour les vers à ces amateurs de musique qui ne comprennent que la musique militaire. Dans tous les genres, il nous faut des Marseillaises.

Au milieu de cette génération, fille de Bonaparte et de la Révolution, libérale et royaliste, chrétienne et désespérée, ardente, troublée, mais surtout ambitieuse, se formait à Paris un jeune homme fort instruit, très timide, insinuant, sensible, irritable, et si intelligent qu’en lui la faculté de comprendre devait étouffer toutes les autres. Roux, laid, robuste, bien portant, sensuel d’instinct et sceptique d’intelligence, ayant noué le tablier blanc des internes d’hôpital, il était homme de peu de foi ; mais il avait à