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« Que répondrai-je à Dieu quand il me demandera compte de ma vie ? je ne sais que des vers ! »

Julie savait les vers de Léonard et Parny ; elle savait aussi les vers plus mélancoliques de l’école anglaise. La belle mondaine suivait le goût du jour ; on aimait alors les jardins anglais et la poésie empreinte de la brume légère des lacs. Elle traduisit même quelques pages des Saisons de Thomson. Lucile aussi barbouillait en secret des feuilles de papier.

Elle gardait dans cette société brillante sa tristesse et son humeur un peu farouche. Mais elle avait des timidités qui lui seyaient bien et une intelligence ouverte à toutes les belles choses de l’esprit. On put la décider à jouer un rôle dans une petite pièce composée pour la fête de M. de Malesherbes : quelque jolie bergerie, sans doute, ayant les grâces attendries de l’époque. J’imagine qu’une laitière en paniers et les cheveux poudrés y chantait les couplets de l’Innocence à la Vertu. Un doigt de vin de Champagne, qu’on fit prendre à Lucile, lui donna du courage : elle fut touchante, elle ravit le bon vieillard, qui s’intéressa à elle et poussa de tout son crédit à la faire entrer dans le chapitre de Remiremont. On exigeait à Remiremont les preuves de seize quartiers. Il fallait remuer bien des parchemins à les faire, et chercher ensuite une tante adoptive parmi les dames chanoinesses. C’est au moment où l’ancien régime allait s’écrouler qu’ils s’agitaient ainsi pour un cano-nicat. Nous ne savons jamais ce que nous poursuivons, et nous courons après des ombres.

Tout le monde alors annonçait une révolution.