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Le jeune poète y disait :

Rentré dans la nuit des tombeaux, Mon ombre, encor tranquille et solitaire, Dans les forêts cherchera le repos.

Au séjour des grandeurs mon nom mourra sans gloire ;

Mais il vivra longtemps sous les toits de roseaux ; Mais d’âge en âge, en gardant leurs troupeaux,

Des bergers attendris feront ma courte histoire ;

« Notre ami, diront-ils, naquit sous ce berceau,

Il commença sa vie à l’ombre de ces chênes ; Il la passa couché près de cette eau, Et sous les fleurs sa tombe est dans ces plaines. »

Il refit toute sa vie ce souhait d’une destinée obscure. En se poussant aux honneurs, il soupirait après la solitude et l’oubli. Il était sincère. Nos contradictions ne sont pas ce qu’il y a de moins vrai en nous.

En 1787, son frère aîné se maria avec la petite-fille de M. de Maiesherbes.

Malesherbes portait avec bonhomie ses vertus et ses honneurs. Il conversait avec les savants et les philosophes, il jouait avec les petits enfants. Le jeune René fréquenta ce vieillard, lui fut attaché, mais n’apprit pas de lui la liberté d’esprit, la modération, la simplicité, toutes ces qualités si naturelles et si propres au bonheur des hommes, que Malesherbes avait en commun avec les génies philosophes de son temps. Malesherbes, une des têtes de son siècle, était tolérant, aimait la justice, honorait les métiers. Il pensait, avec Raynal et Diderot, qu’un homme ne vaut dans une société que par les services qu’il y rend. Et c’était là, en ce temps de privilèges, une grande nou-