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les mouvements qui emportent et exaltent, joints à une clairvoyance qui vient glacer l’élan, et c’est là, peut-être, la moitié du secret de l’âme d’Adolphe, une des plus troublées qui furent jamais. Cette nature est trop complexe pour pouvoir tenir dans une seule formule, trop souple et trop mobile pour se fixer en traits précis, trop agitée pour rester semblable à elle-même.

« Quiconque aurait lu dans mon cœur, en son absence, écrit Adolphe, m’aurait pris pour un séducteur froid et peu sensible ; quiconque m’eût aperçu à ses côtés eût cru reconnaître en moi un amant novice et passionné. On se serait également trompé dans les deux jugements : il n’y a point d’unité complète dans l’homme, et presque jamais personne n’est tout à fait sincère ni tout à fait de mauvaise foi. »

On a beaucoup reproché à notre héros cette sorte d’impuissance qui le condamnait à ne s’attacher à rien, à ne renvoyer, ainsi qu’un miroir brisé, que des images mutilées ; on a fait peser sur lui comme une disgrâce et une malédiction cette fatalité de son caractère. Mais est-on bien sûr qu’il n’y ait pas dans cette disgrâce même la preuve d’une distinction rare de l’esprit, qui prend en dégoût les vulgarités, les sottises, les misères triviales qui tôt ou tard se trahissent et éclatent en toute chose ?

Adolphe ne sut pas, comme ce René, son illustre contemporain, feindre avec lui-même et se donner le spectacle d’une éclatante comédie ; il n’eut point le génie prestigieux, le lyrisme de l’auteur d’Atala

TS