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nous, mais le drame qui se déroule dans Adolphe, ce n’est certes point elle qui en fut l’héroïne.

La femme tumultueuse et emportée, incapable de résignation, qui nous est dépeinte, ne saurait être une indépendante que les libertés de sa vie obligeaient à une attitude moins impérieuse. Et, si quelque reproche pouvait atteindre ce roman si parfait, il nous semble que c’est précisément sur ce point qu’il porterait.

Ellénore, qui se montre d’abord douce, réservée, soucieuse de l’opinion, rejette bientôt tout ce qui faisait l’attrait modeste de son caractère. Un manque d’unité se trahit entre la femme discrète qui figurait au début du livre et la victime bruyante dont le désespoir s’étale sans mesure pour finir dans la mort. 11 est visible qu’à un certain moment, alors que la situation devient tout à fait poignante, la vérité éclate sous la fiction qui devait la contenir et la dissimuler. Derrière le masque un peu terne et indistinct d’Ellé-nore, nous devinons un visage connu, marqué de traits précis et autour duquel flotte le souvenir de joies trop courtes et d’infinis dégoûts. La première image, celle de la maîtresse résignée et touchante, s’efface alors complètement devant l’autre, qui nous apparaît toute frémissante, armée d’une torche vengeresse et poursuivant de sa colère passionnée celui qui ne l’aime plus.

Il y a tout près d’un siècle que parut Adolphe, et les générations changeantes qui depuis lors se sont succédé n’ont guère varié à l’égard de cette œuvre singulière. Le livre a gardé toutes les admirations ; le héros est resté en butte à toutes les sévérités.