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s’élance au milieu des orages. » Bernardin vieillissant ne distillait plus qu’un miel insipide. Il ne sentaifplus le goût du temps. Quelque mauvaise humeur lui vint de n’avoir pas été mis sur la liste des sénateurs, mais ses forces tombaient. 11 ne faisait plus que de courtes et de lentes promenades, et il sollicitait encore. C’était pour sa fille, qui fut placée à Écouen, et pour son fils, qui entra comme boursier dans un lycée : tous deux soumis ainsi à cette éducation publique condamnée autrefois par leur père. Il s’appesantissait alors sur sa malheureuse théorie des marées ; ce fut sa dernière chimère. L’apoplexie le frappait à coups répétés. Dans les premiers jours de novembre 1813, il put encore gagner sa maison des champs. Il revit la forêt de Saint-Germain dépouillée par l’hiver. Près de s’éteindre, il se fit porter dans son jardin et regarda son rosier de Bengale ; les feuilles en étaient jaunes et près de s’envoler. Le 21 janvier 1814, la terre était couverte de neige ; à midi, le soleil sourit dans la brume et entra dans la chambre ; Jacques-Henri-Bernardin de Saint-Pierre, entouré de sa famille tardive, soupira : Mon Dieu ! et mourut dans la soixante-dix-septième année de son âge. S’il faut l’en croire, il allait, comme Socrate, visiter Phtia la fertile.

Il emportait avec lui les misères, les erreurs d’un esprit qui avait trop souvent mal senti la vie et les hommes. Mais il laissait au monde, parmi bien des pages vaines, quelques belles visions, à jamaisfraîches, des tableaux d’amour et quelques traits de cette Vénus qu’il avait su voir dans la nature.

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