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des champs seraient marqués par des fêtes. Un temple de verdure s’étendrait au pied du fort. Là se réuniraient, dans la concorde, tous les peuples de l’île, et bientôt ceux de l’univers. Toutefois il était contrarié de voir que les colons emmenés avec lui fussent tous des chanteurs et des danseuses. Il pensa du moins les employer à rendre la vertu aimable aux sauvages. Mais, quand le chef de l’expédition lui confia qu’il était colonisateur seulement en apparence et que son but véritable était de prendre des noirs pour les vendre, Saint-Pierre tomba foudroyé. On lui volait ses citoyens, ses sujets, les sujets de la vertu !

Il n’aimait pas la mer. La traversée fut mauvaise. Dans le canal de Mozambique un coup de foudre brisa le grand mât. Le scorbut ravagea l’équipage. On mettait les malades au soleil, sur le pont, et ils mouraient en parlant. L’île de France, qu’il avait rêvée si belle, lui parut d’abord aride, trop rocheuse et trop âpre pour sa molle imagination. Il n’en voyait que le Port-Louis. Il demanda à y rester, et, comme sa commission était en règle, on le garda. Son grand mécontentement le reprit. Il voyait maintenant le bonheur sur une petite terre, dans une petite maison, aux portes de Paris. Puis, sous le soleil d’Afrique, il souhaitait les glaces de la Finlande, « les forêts agitées par d’éternels aquilons ». Cette inquiétude est vieille comme l’humanité même. « Tu changes vite et ne te réjouis de rien, a dit Euripide ; ce qui est devant toi ne te plaît pas, et tu préfères ce qui est loin… La vie des hommes est tout « -ntière douloureuse… Et nous sommes vainement agités par des mensonges. » Il vit