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sentier bordé de fraises et de violettes comme un bois de France. Ils se disaient déjà tous deux de vagues et douces choses, quand un orage, versant l’ombre et la pluie, les jeta dans un pavillon rustique. Ce fut pour eux la grotte de Didon. Ils avaient peut-être un peu songé par avance à cette grotte virgilienne ; car la princesse Marie était femme à lire les beaux endroits de YÉnêide.

C’était, paraît-il, une bonne, intelligente et gracieuse créature. Elle se montrait humaine à ses serfs. L’humanité était alors une mode de France, comme la poudre et les mouches. Le ton était d’être sensible. Mais après tout c’était là un bon ton. Il passait en ce temps sur l’Europe féodale un large souffle de bonté, de tendresse humaine. Le chevalier goûta d’abord assez raisonnablement son heureuse fortune. Incapable d’une passion qui l’arrachât à lui-même, lui ôtàt tout à fait son naïf égoïsme et ses folles ambitions, il était enclin à la volupté comme un poète, et vain autant que le commun des hommes. Cette jolie femme, qui était une princesse, caressait son orgueil et ses sens. Il trouvait dans ses voyages une oasis parfumée et il s’y reposait. Marie ne fut guère prudente tant qu’elle aima ; elle le devint tout à coup quand elle n’aima plus, ce qui advint un an environ après l’orage virgilien et la scène du pavillon rustique. Elle découvrit alors soudainement que son ami n’égalait point en discrétion saint Jean Népomucène, patron de la Bohème, de la Hongrie et de la Pologne, et que leur secret était la fable de Varsovie. Elle fit part au chevalier de sa découverte, elle parla de sa mère qu’on

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