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Radziwil, la jeune princesse Marie Miesnick, ouvrit sa maison à l’officier de fortune. C’était une de ces filles de Pologne « joueuses comme des chattes, blanches comme la crème, avec des yeux brillants comme des étoiles ». Elle avait de plus un esprit charmant et la sagesse d’Horace, qui était de mise alors. Saint-Pierre vivait près d’elle au milieu des starostines et des palatines, dans ce monde qui joignait la vivacité de l’Europe à la magnificence de l’Asie. On dansait la polonaise, on buvait les vins de Hongrie. On jouait des tragédies de Racine. Saint-Pierre était Achille, et la princesse Cunégonde était Iphigénie. Mais, quand, sorti des salons, des jardins illuminés de girandoles pour les bals et les soupers, il regagnait sa petite chambre qu’il avait louée cinquante ducats, il songeait amèrement à sa fortune qui n’était pas faite. Autant pour l’établir que pour plaire à la princesse Marie Miesnick, il se lança étourdiment, avec un seul compagnon, à travers le pays tenu par la cavalerie de Poniatowski, à la rencontre de Radziwil, qui, retranché alors entre Nierwitz et Stuck, n’avait nul besoin d’ingénieur. Ce plan de campagne, arrêté par la princesse après quelque souper, était absurde. Dès la première nuit, Saint-Pierre fut arrêté par des uhlans. Il dut, pour être relâché, s’engager à ne point porter les armes pendant l’interrègne. La princesse Miesnick, touchée de cette folie et aussi de la bonne mine du jeune Français, l’emmena’dans son château. Un jour, dit-on, qu’il se promenait seul et mélancolique dans le parc, le hasard, celui qui préside aux romans et aux comédies, lui fit rencontrer son hôtesse dans un