Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/214

Cette page n’a pas encore été corrigée

trouva à bord des comédiens, des danseurs et des perruquiers qui allaient, comme lui, chercher fortune dans la nouvelle cour. Philosophes et coiffeurs mettaient également leur espoir en cette impératrice encyclopédiste et libertine. Saint-Pierre craignait déjà qu’on lui volât sa république et que des cités importantes s’élevassent sans lui sur les bords de l’Aral. Déposé sur le quai de la Neva, il s’y trouva bien seul, au milieu de ces hommes à longue barbe qui rentraient gravement dans leurs maisons. Il n’avait que six livres dans la poche de sa veste, et l’impératrice était allée à Moscou pour son couronnement. Mais le chevalier avec ses beaux yeus bleus et ses grands projets se fit des protecteurs. Il partit pour Moscou parmi la suite d’un général, dans un traîneau qui versa plusieurs fois sur la neige, fut aux trois quarts gelé, mangea d’un pain qu’on coupait avec une hache. Une meute de loups suivait les voyageurs en poussant des cris plaintifs. Alors il songeait aux champs et aux coteaux de France. Enfin il vit les coupoles dorées de Moscou. Après quelques misères, il obtint d’un général français au service de la Russie une sous-lieutenance dans le corps du génie et put porter un habit écarlate à revers noirs, une veste ventre de biche, des bas de soie blancs et un beau plumet. Un autre Français, M. de Villebois, promit au sous-lieutenant de le présenter à Catherine.

Bernardin relut son plan de république, se fortifia dans l’idée qu’une colonie fondée sur l’Aral rouvrirait au commerce de l’Empire l’ancien canal des richesses de l’Inde. Il chercha en outre dans Plutarque quel-