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chiens et une servante. Il n’aimait pas le latin du curé. Il regrettait sa mère, sa sœur et sa bonne, et il songeait avec des larmes au bonheur du perroquet et du chien qui vivaient dans la maison pour lui perdue. Il était malheureux. Au bout de dix mois, sa marraine, le voyant pleurer, obtint qu’on le tirât du presbytère. Cette marraine se nommait Bernardine de Bayard ; avec ce grand nom et un fier visage, elle était pauvre. Elle avait vécu à la cour. Par elle, par les récits qu’elle aimait à faire, l’enfant toucha au siècle de Louis XIV. Bernardin n’était pas depuis longtemps rendu à sa maison, à son jardin, à son livre des Pères du Désert, quand un capucin du voisinage, frère Paul, l’emmena en tournée par le pays normand. La chère fut bonne, car l’enfant était joli et les dames lui donnaient des friandises. Le pays était nouveau et la route égayée par les contes de frère Paul, qui contait bien. Bernardin résolut d’être capucin. A peu de temps de là, il lut Robinson, que lui avait donné sa marraine. Dès lors tout s’effaça de ses yeux. II ne vit autour de lui qu’une île déserte, des lamas, des perroquets et Vendredi. Il bêchait la terre vierge, plantait des arbres, élevait des palissades. Ce fut un long enchantement. Mais, quand il atteignit sa douzième année, sa solitude imaginaire lui causa un premier mal de cœur. Il y rêva des amis, des femmes, qu’il gouvernait, car il était ambitieux. Il devait recommencer toute sa vie ce rêve d’enfant et, philanthrope insociable, promulguer jusqu’au bout des lois chimériques à des êtres imaginaires. Pendant qu’Henri-Bernardin rêvait ainsi, son oncle, le capitaine Godebout, équipait un vais-

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