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ouvrier en littérature, et pendait, ainsi qu’on voit, une belle enseigne à sa boutique, qui était bien pourvue. Il en sortit successivement l’Histoire de Marguerite d’Anjou, l’Histoire d’une Grecque moderne, les Campagnes philosophiques de Moncal, l’Histoire de la jeunesse du commandeur de ***, l’Histoire de Guillaume le Conquérant, une Vie de Cicéron, traduite de Middleton, une traduction des Lettres de Brutus et des Lettres familières, les Voyages de Robert Lade, les Mémoires d’un honnête homme. J’en oublie. Prévost composait si facilement qu’il pouvait prendre part à une conversation sans s’interrompre d’écrire. Sa plume le menait.

Il vivait tranquille, dans son cabinet, quand un folliculaire, dont je ne sais pas le nom, vint lui demander des secours et des conseils. L’abbé, qui ne savait rien refuser, paya de sa bourse et de sa plume. Or, il advint que le journal dans lequel il avait si bonnement trempé déplut au pouvoir et fut saisi. Les gens de police trouvèrent de l’écriture de Prévost dans les papiers du malheureux folliculaire ; ils eussent fort bien mené Prévost à la Bastille s’ils l’avaient trouvé. Le prince de Conti lui fournit les moyens de gagner Bruxelles, où, par bonheur, il n’attendit pas longtemps que cette méchante affaire fût arrangée.

Revenu dans ses foyers et remis de cette dernière tribulation, il commença une grande entreprise. Le chancelier Daguesseau l’invita à rédiger une Histoire générale des voyages. On commençait alors en France à s’intéresser aux découvertes des navigateurs ; on voulait savoir comment vivent les peuples qui ne vivent pas comme nous. Le siècle précédent s’était