Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

défendit avec beaucoup de modération et de goût. Il avait alors trente-huit ans et commençait à porter sur son visage les traces de ses fatigues. Il menait une vie retirée, travaillait obstinément et passait quelquefois des semaines entières dans son cabinet. Il avait l’humeur douce, un peu triste. Il fuyait les bals et les fêtes ; une heure d’entretien avec un ami de bon sens était sa plus grande volupté.

Mais il regrettait la France. Il fut tenté plus d’une fois d’y rentrer secrètement ; on lui représenta qu’il risquait d’y être inquiété. Il prit le parti de solliciter ouvertement son retour. Le cardinal de Bissy et le prince de Conti l’appuyèrent, et il fut permis à Prévost de reparaître dans le royaume sous l’habit ecclésiastique séculier. Il n’en demandait pas davantage. Le prince de Conti, voulant l’obliger, le demanda pour aumônier. La place était bonne, mais Prévost eut d’abord scrupule de l’accepter. Il fit part à Son Altesse de l’empêchement qu’il voyait.

— « Je ne dis jamais la messe.

— « Je ne l’entends jamais, » répondit Son Altesse. Prévost accepta. Son ministère, comme on peut croire, lui laissait des loisirs. Il écrivait du soir au matin. Il composa sans relâche des romans et des histoires qui étaient aussi des romans.

Il donna, en 1736, le Doyen de Killerine, qu’il annonça lui-même comme une « histoire ornée de tout ce qui peut rendre une lecture utile et agréable ». L’abbé n’était point fat et ne tirait pas vanité de ses livres ; mais, comme il écrivait beaucoup, il voulait être beaucoup lu. Il avait la conscience d’être un bon